Bataille de Tourtour (973)

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“Au nom de Mayeul !” Guillaume le Libérateur lance la charge contre les sarrasins, 973. Chronique des temps Carolingiens.

VII ème siècle, l’Empire Romain d’Occident est gangréné par les querelles familiales. Issu du partage de la Lotharingie, le Royaume de Provence, qui réunit la Provence et la Bourgogne Cisjurane, revient à Charles de Provence, arrière petit fils de Charlemagne. Sans héritier, la mort de ce premier  plonge le royaume dans une guerre de succession, dont il ne subsistera plus que des comtés rivaux.

Profitant du chaos ambiant, les Sarrasins multiplient leurs razzias et finissent même par s’installer dans le massif des Maures en 890. Riche en bois de construction, ils nomment leur colonie Djabal al-Kilal, la montagne au bois dur. Là, le commerce d’esclaves chrétiens va bon train et les devises affluent. Afin d’asseoir leur contrôle sur la région, les musulmans érigent des fortifications, dont la plus célèbre, le Fraxinet, sert de camp de base à leurs puissants raids. En 906, on les retrouve dans les vallées orientales des Alpes dont ils saccagent les abbayes. En 920, ils prennent Aix, Marseille et ravagent le Piémont. 940 marque l’apogée de leur expansion : ils parviennent à s’ouvrir les villes de Toulon et Frejus et leurs navires remontent la vallée du Rhône où ils pillent et occupent plusieurs villages avant d’atteindre l’Abbaye de Saint-Maurice D’Agaune, dans l’actuel canton suisse du Valais. Là, confrontés à la pression des invasions hongroises, ils marquent le pas avant de se replier en Provence.

Une première fois inquiétés en 942 avec la perte de leur flotte, ils parviennent à se jouer des dissensions seigneuriales pour garantir leurs positions. Contrôlant encore les principaux cols des Alpes, les bandes d’Agarènes (autre nom de Sarrasins) intensifient leurs activités, faites de rapines et d’enlèvements. Mais en juillet 972, ils commettent l’impensable avec le rapt de Monseigneur Mayeul de Forcalquier, abbé de Cluny et futur saint. Les 1000 livres d’argent de rançon sont rapidement réunis par l’abbaye et l’aristocratie provençale, mais la vénération portée à Mayeul exalte les cœurs… Guillaume Ier, compte de Provence après la réunification des trois comtés d’Arles, d’Avignon et d’Apt, prend la tête de l’ost provençal avec son frère Roubaud. Ils sont soutenus par les guerriers d’Ardouin, comte de Turin et par quelques seigneurs italiens victimes des exactions ennemies. Bien renseignés, les Sarrasins cherchent à éviter le choc frontal. Ils descendent alors du Fraxinet pour prendre en embuscade les chevaliers, concentrés à reprendre le contrôle des cols.  Cinq premières batailles ont lieu à Embrun, Gap, Riez, Ampus et Cabasse, mais à chaque fois, le courroux des provençaux l’emporte. Les Agarènes parviennent toutefois à se dérober. Sans cesse traqués, ils décident de faire volt face dans la plaine de Tourtour et acceptent la bataille rangée. Mais à cette époque, la chevalerie naissante adopte des techniques de combat novatrices. La lourde broigne est supplantée par le haubert, plus souple et plus léger. La généralisation des étriers permet quant à elle de donner un véritable impact à la charge sans que le guerrier soit désarçonné. Enfin la lance s’allonge, et si elle est encore portée au dessus de la tête, sa tenue horizontale permet au cavalier de piquer le premier. C’est en criant “Au nom de Mayeul !” que les provençaux se lancent dans un furieux assaut qui emporte les lignes ennemies. Réduits à quelques centaines, les Sarrasins se retranchent derrière les murs du Fraxinet, à dix lieues du massacre. Après avoir reposé ses troupes, Guillaume pousse son avantage et assiège la place forte. Il désigne les seigneurs de Levens, d’Aspremont, de Gilette, de Beuil  pour mener une première attaque qui parvient à s’emparer du village malgré une résistance acharnée. Coupés du monde et ne pouvant attendre de renfort en raison du blocus de la flotte byzantine, les Agarènes tentent une sortie en pleine nuit et parviennent à se réfugier dans un bois. A l’aube, les chrétiens les rattrapent et lancent un dernier assaut. Ne voulant rendre les armes, les plus fanatiques sont massacrés, mais bon nombre se rendent et sont épargnés. Baptisés de force, ces derniers se voient réduits au servage. Face à tant d’élan patriotique, les dernières places Sarrasines quittent la côte sans attendre leur reste. Guillaume, dit le Libérateur, fait raser le Fraxinet et partage le Djabal al-Kilal, redevenu le Freinet, entre ses compagnons d’armes. Des fiefs sont attribués au vicomte Guillaume de Marseille, à Pons de Fos et à un certain Gibelin de Grimaldi qui s’était distingué lors des combats. Part legs, l’Eglise bénéficie également de nombreux dons. De même, des nobles de moindre importance reçoivent des biens en récompense ou par héritage.

Cette bataille méconnue, mais pourtant majeure, marque un tournant dans l‘histoire du Midi. Au delà de l’expulsion définitive des Sarrasins et de la période de prospérité qui s’en suit, elle aura permis la mise au pas de la Provence, de l’aristocratie locale et des communautés urbaines et paysannes qui avaient jusque-là toujours refusé le pouvoir comtal. Menée sans le soutien des troupes du Saint Empire dont dépend le comté, cette campagne permet à Guillaume le Libérateur d’obtenir la suzeraineté de fait de la Provence et avec le consentement impérial. Il contrôle désormais le fisc, arbitre les différents et crée ainsi la féodalité provençale.

Pieux de nature, le Libérateur restitue de nombreux biens à l’Eglise à la fin de sa vie. En 993, il revêt l’habit monastique, fait de généreuses offrandes à l’abbaye de Cluny et s’éteint dans les bras de Saint Mayeul, entouré de ses nombreux fidèles. Il aura donné naissance à la mesnie des premiers comptes de Provence, qui lui perdurera jusqu’en 1093, lors de la mort sans descendance de Bertrand II de Provence.

Merci à Flibustier Provençal pour son texte.